PALÉOSOLS ET SOLS FOSSILES

PALÉOSOLS ET SOLS FOSSILES
PALÉOSOLS ET SOLS FOSSILES

Parmi les facteurs de formation du sol – la roche mère, le climat, le relief, les organismes animaux et végétaux, le temps –, le climat joue un rôle prépondérant. Or, ne serait-ce que pendant la période quaternaire, il s’est produit des variations climatiques considérables à l’échelle de la planète. Il en résulte que, en un point quelconque du globe, les sols ont pu subir successivement des actions climatiques très différentes, génératrices de modifications importantes dans les processus pédogénétiques. Les pédologues sont, en effet, souvent gênés pour expliquer la genèse de certains sols sous les conditions climatiques actuelles; ils doivent alors invoquer une ou des «paléopédogenèses» ayant contribué à la mise en place de tels sols, qualifiés de «paléosols». D’autre part, faisant suite aux variations climatiques récentes et parfois également aux modifications d’ordre tectonique, des cycles d’érosion et de dépôts ont pu contribuer à recouvrir d’anciens sols, également nommés paléosols ou sols fossiles. Le terme de paléosol est donc vague et son emploi doit être précisé.

Paléosols et paléopédogenèse

Les sols développés sur des surfaces récentes ont subi l’action d’une seule phase climatique, de caractéristiques voisines des conditions dans lesquelles ils se trouvent aujourd’hui; ce sont les sols actuels normalement développés. Mais de telles surfaces sont limitées et, dans la plupart des cas, on est en présence de vieilles surfaces qui ont pu subir successivement l’action de phases climatiques différentes du climat actuel: paléosols cryoturbés de la Champagne crayeuse formés sous climat périglaciaire (fig. 1 et 2), paléovertisols du désert saharien formés sous climat chaud et humide, etc. Ces sols montrent généralement des caractères acquis au cours de pédogenèses anciennes. Le phénomène peut être plus compliqué; en effet, de tels paléosols ont été soumis aux phénomènes de bio-rhexistasie et peuvent être soit tronqués par l’érosion, et dans ce cas on est en présence de «sols hérités» (B. Gèze, 1959), soit intégralement conservés, mais alors leurs horizons supérieurs subissent l’action des facteurs climatiques actuels et il s’agit de «sols hérités polyphasés» (L. Glangeaud, 1956; B. Gèze, 1959) ou de «sols polycycliques» ou «polygénétiques» (P. Duchaufour, 1968).

Dans le cas des versants, le phénomène atteint le maximum de complexité; en effet, érosion et sédimentation se sont déroulées parallèlement le long des pentes, avec des migrations obliques, de sorte que, dans une séquence, il n’y a pas de paléosols mais des sols plus ou moins vieux ayant simplement acquis des paléocaractères dus à certains paléoprocessus; il faut toutefois préciser que ces processus peuvent se poursuivre actuellement à une vitesse différente.

De nombreux sols ont pu subir des actions pédogénétiques de nature et d’intensité variées, mais il apparaît que chacun d’eux conserve uniquement l’empreinte des processus caractérisant l’évolution maximale dans la hiérarchie des processus mis en cause.

Enfin, il existe des sols recouverts par divers dépôts: alluviaux, éoliens, volcaniques, etc.; de tels sols constituent des sols fossiles, seuls paléosols au sens strict.

En résumé, sous le terme très général de paléosol, on doit distinguer: les sols polycycliques (ex.: sols développés sur les « terra rossa» et les «terra fusca»); et les sols fossiles enterrés (lehm, lœss, argile à silex) ou exhumés (sidérolithique, argile à silex).

Argiles de décalcification, terra rossa, terra fusca

Les eaux de pluie chargées de gaz carbonique dissolvent les calcaires et les dolomies; les résidus insolubles sont principalement des argiles, de la silice et des oxydes de fer, soit 10 p. 100 au maximum du poids de la roche initiale; ces résidus insolubles des roches carbonatées constituent les argiles de décalcification. Mais ces matériaux ont été le plus souvent transportés ou remaniés, et sont mélangés à des apports éoliens, alluviaux ou colluviaux; ils ont donné naissance aux «terra calcis», comprenant les terra fusca dans les régions tempérées froides, les terra rossa dans les régions méditerranéennes. Les terra fusca contiennent des oxydes de fer hydratés leur conférant une teinte ocre; leur formation se serait effectuée sous un climat chaud et humide d’une période interglaciaire; une période froide avec phénomène de cryoturbation aurait ensuite assuré le mélange de fragments de calcaire dur dans le matériau initial.

Les terra rossa sont caractérisées par une rubéfaction due à la déshydratation des sels de fer; elles se seraient constituées sous un climat chaud et humide, mais à saisons très contrastées, la saison sèche favorisant cette déshydratation.

Ces sols, formés pendant les périodes interglaciaires, seraient donc d’anciens sols, âgés de 50 000 à 60 000 ans au moins. Actuellement, ils fonctionnent en roche mère et peuvent donner naissance à divers sols selon les climats où ils se trouvent. Dans le bassin méditerranéen, ces différentes formations sont généralement désignées sous le terme de sols rouges méditerranéens. Cependant, la pédogenèse actuelle sur terra rossa peut conduire à divers sols: sols bruns ou sols isohumiques sous climat méditerranéen sub-humide, sols isohumiques sous climat méditerranéen semi-aride, sols à tendance vertisolique en station mal drainée, rendzines rouges lorsqu’il y a recarbonatation par apport colluvial ou anthropique (labour) ou régosols lorsque l’érosion tronque le profil et empêche la formation d’un horizon humifère de surface. Cependant, en régions à climat très contrasté, ces terra rossa peuvent encore se former; ainsi il existe une pédogenèse fersiallitique actuelle au Liban (Lamouroux, 1971).

Les terra fusca se trouvent aujourd’hui sous climat tempéré et sont bien conservées sur les plates-formes structurales horizontales, où elles donnent naissance à des sols bruns calciques ou calcimagnésiques et à des sols bruns lessivés. Ces formations sont parfois recouvertes d’un limon allochtone, après érosion partielle de l’ancien profil, et il se développe un sol à l’apparence de sol lessivé: en fait, on est en présence d’un sol polycyclique complexe (R. Durand et P. Dutil, 1970). Sur les pentes, il peut y avoir mélange de terra fusca et de fragments de la roche carbonatée initiale; la recalcification ou la recarbonatation secondaire du profil peut ainsi conduire à une rendzine ou à une rendzine brunifiée.

Limon, lœss, lehm

Le limon désigne actuellement les particules dont la dimension est comprise entre 2 et 50 猪m [cf. GRANULOMÉTRIE]. Par extension, ce terme granulométrique peut s’appliquer à un faciès sédimentaire; aussi, par «limon» on entend une formation détritique de granulométrie intermédiaire entre celle des sables et celle des argiles, et dont l’origine peut être alluviale, colluviale, éolienne ou mixte.

Étymologiquement, le lœss désigne une terre limoneuse se désagrégeant bien et facile à labourer, pas trop argileuse ni sableuse, définition qui n’inclut pas l’origine ou la nature du matériau. Géologues et géomorphologues s’étant attachés plus spécialement à l’étude de cette formation de plateau, on employa dès lors indifféremment le terme de limon des plateaux ou celui de lœss, d’où certaines confusions. On peut aujourd’hui proposer la définition suivante: le lœss est un dépôt éolien, fin et homogène, de texture limoneuse, pauvre en sable, ayant pris naissance au cours de périodes sèches (probablement interglaciaires), par suite d’un entraînement par les vents. Ce matériau recouvre, en France par exemple, de vastes surfaces, principalement à l’ouest et dans le nord du Bassin parisien; on y distingue plusieurs séries de dépôts correspondant aux périodes froides (Günz, Mindel, Riss et Würm), chaque série pouvant faire l’objet de division en plusieurs phases.

Les lœss jouent actuellement le rôle de roche mère; calcaires ou non calcaires initialement, ils ont subi diverses pédogenèses et les stades de la séquence évolutive sont les suivants: sol brun calcaire ou calcique, sol brun, sol brun lessivé, sol lessivé et sol lessivé dégradé à hydromorphie. Sur lœss récent, l’évolution paraît limitée au sol brun lessivé ou au sol lessivé; par contre, sur lœss plus ancien maintenu en surface depuis leur dépôt, l’évolution est plus marquée et conduit au sol lessivé dégradé. Les dépôts successifs de lœss expliquent la fréquence de sols fossiles enterrés; certains ont été partiellement érodés avant une nouvelle phase de dépôt et ne montrent plus que leurs horizons d’accumulation: c’est le cas du lehm.

Le lehm, matériau entièrement décalcifié, a des teneurs en argile plus élevées que le lœss; il correspond à un horizon d’accumulation d’argile par lessivage et constitue un sol fossile enterré tronqué. Ces anciens horizons d’âges divers montrent une altération importante, avec rubéfaction superficielle ou en profondeur et des traces de l’action des climats froids.

Sidérolithique

En 1909, E. Fleury a défini la formation que l’on appelle sidérolithique (ou sidérolitique): «Sous le nom de sidérolithique, on comprend toute une formation géologique très complexe et très spéciale, d’allure et d’aspect infiniment variables, ordinairement caractérisée par des minerais de fer en grains ou pisolithes, qui ne représentent qu’une partie relativement faible du dépôt. Ils sont en effet toujours très liés, mélangés ou subordonnés à des argiles ferrugineuses, à des sables siliceux et même à des calcaires.»

Le sidérolithique constitue un faciès continental et a été reconnu à trois périodes – Carbonifère, Crétacé inférieur et Éocène – et sous des latitudes parfois élevées (en France, par exemple, bordures du Massif central, Poitou, Vendée, Charente, bassin de Paris, Boulonnais, pays de Bray, Haute-Marne...); ce faciès indique des conditions de formation sous climat de type intertropical humide.

Le schéma d’évolution proposé par G. Kulbicki (1953) et G. Millot (1964) pour l’Éocène sidérolithique du nord de l’Aquitaine illustre bien la complexité de la formation. Au Crétacé supérieur, le Massif central et ses bordures subissent un climat tropical contribuant à la formation de sols ferrallitiques. À l’époque tertiaire, l’érosion décape cette couverture de sols, et les dépôts s’étalent jusqu’au milieu de l’Aquitaine sous forme de produits détritiques grossiers, blocs, galets, graviers, sables argileux kaoliniques et concrétions ferrugineuses, le cycle de dépôt se terminant par les produits fins, principalement des argiles kaoliniques très pures. Puis tous ces dépôts subissent à leur tour une pédogenèse de même type que celle qui les a formés, sans qu’ils parviennent toutefois au stade des bauxites [cf. BAUXITES]. Certains secteurs sont ferruginisés avec parfois début de cuirassement. Enfin, après des remaniements à la fin du Tertiaire, ces matériaux sont partiellement exhumés au Quaternaire.

Le sidérolithique constitue donc un sol fossile polycyclique; dans les zones où il est exhumé, il se comporte comme une roche mère sur laquelle se développent principalement des sols lessivés et des sols podzoliques; il forme alors un sol polycyclique.

Argile à silex

L’expression «argile à silex» désigne, dans le bassin de Paris, des formations de constitution et de structure variables, qui ont pour caractère commun le fait de contenir généralement des silex, en grande majorité non usés ou peu usés, dans une matrice meuble, soit argileuse, soit argilo-sableuse, soit, plus rarement, sableuse ou limoneuse. Ces argiles à silex sont riches en kaolinite et oxydes de fer. Leur épaisseur est variable, mais dépasse rarement 30 mètres; épaisses vers le sud et l’ouest du bassin de Paris, elles disparaissent à l’est. Elles semblent issues pour une large part de l’altération des formations crayeuses à silex (G. Denizot, 1967). Leur formation aurait été particulièrement intense pendant le Nummulitique, sous l’action d’un climat chaud et humide (H. Elhaï, 1967; C. Sittler, 1967). D’autres argiles à silex, différentes par la nature minéralogique des argiles, se seraient formées pendant le Néogène (C. Pomerol et J. Riveline-Bauer, 1967; P. Douillet et al., 1967). Enfin, les produits de la dissolution de la craie se seraient accumulés avant d’être recouverts par des sables ou des limons (R. Brajnikov, 1937), parfois mélangés à ces matériaux (H. Elhaï, 1967). L’érosion a ensuite remanié ces argiles à silex, et les produits colluviaux sont appelés biefs à silex ou, de préférence, argiles à silex remaniés.

Certaines argiles à silex reposant sous des formations tertiaires (miocènes, oligocènes principalement), on doit les considérer comme des sols fossiles enterrés. D’autres ont été exhumées par l’érosion plio-quaternaire et fonctionnent actuellement comme une roche mère; il s’y développe surtout des sols bruns et des sols bruns vertiques, parfois des sols bruns lessivés, plus rarement des sols lessivés.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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